de Julie Marcotte, Les joyeuses catastrophes du monde de Julie
Du TDAH dans ma soupe…
Une autre belle journée qui se termine avec mes cocos. Une journée grouillante, animée, pleine d’imprévus, comme toujours. Comme je les aime.
Dans l’auto, je me permets un peu de musique pour me rappeler qu’en dehors de ma petite classe le monde continue de tourner. Et vlan! À nouveau ce discours qui, comme un poing bien fermé, me percute avec violence!
– Des hyperactifs, il y’en a pas plus maintenant qu’avant! C’est les profs qui n’endurent pu de voir les enfants bouger! Ils voudraient qu’on donne une pilule à tous ceux qui gigotent un peu. Pis les enfants dans la lune c’est la même chose : s’ils savaient comment les intéresser, ils écouteraient sans problème!
Ça y est, ma journée commence à sentir moins bon. Elle a un petit arrière-goût désagréable. Ce n’est rien de nouveau, c’est un discours habituel. Un coup que nous sommes habitués d’encaisser, nous les profs intolérants prêts à inventer des TDAH et à distribuer du Ritalin comme des bonbons!
Peut-être que de tels enseignants existent… Le monde est plein de toutes sortes de gens! Mais attention, en 10 ans de carrière et ayant travaillé avec un bon nombre de collègues, je n’ai pas eu le privilège (lire ici la malchance) de rencontrer l’un de ces spécimens rares.
En matière de TDAH, nous sommes clairement aux premières loges. Nous voyons passer toutes sortes de situations et entendons une belle variété de grandes déclarations dans les médias et sur le net! Honnêtement, un article après l’autre, il ne m’est jamais arrivé de me dire « c’est EXACTEMENT ça ».
Je pense que la vérité est éparpillée au peu partout dans ce grand cafouillis que nous peinons à comprendre.
Plusieurs clament haut et fort que le déficit d’attention est exclusivement génétique et biologique. C’est parfois vrai. Ça ne l’est parfois pas. Il arrive qu’un contexte de vie inapproprié et insécurisant jumelé à des prédispositions de tempérament provoque des lacunes dans le système neurologique. Il arrive aussi que la vie « bardasse » tellement nos petits qu’il soit juste normal qu’ils deviennent explosifs et n’arrivent plus à se concentrer…
D’autres diront qu’au contraire, tout cela ne dépend que de l’environnement. Que le TDAH est la conséquence d’un encadrement parental déficient. Là encore, le spectacle que je contemple chaque jour me dit qu’il faut nuancer! Bien sûr, un encadrement déficient pourra exacerber au maximum des problèmes d’attention et de gestion d’impulsivité. Mais je vois aussi de superbes familles où tout le monde s’investit, encadre et persévère sans pour autant que le TDAH ne disparaisse. À l’inverse, certains manquent grandement d’encadrement et n’ont pourtant pas de difficulté à tenir en place…
Il y a ensuite cette grande propagande anti-médication très populaire par les temps qui courent. Soupir….
Non, la médication n’est pas la meilleure option pour tout le monde. Oui, elle est scandaleusement surprescrite. Mais non, il ne faut pas l’écarter d’emblée… On ne peut pas lui enlever tout son mérite, n’oublions pas qu’elle sauve régulièrement des vies et des estimes malmenées!
La vérité est quelque part au milieu de cette confusion.
Et nous, les enseignants, sommes-nous vraiment ces monstres intolérants et déconnectés? Une chose est sûre, nous sommes fatigués, les chiffres vous le diront. C’est un sur trois qui quitte la profession. La fatigue peut certainement amener de l’intolérance. Comme dans toutes les professions, il y a des gens plus sensibles que d’autres. Certains plus instruits. D’autres avec un meilleur jugement. Mais j’ai envie de croire que la majorité des enseignants ont plus de vécu, d’intelligence et de jugement que ces distributeurs de pilule sans cervelle joliment décrits en onde!
Je travaille en 1ère année. Je suis l’enseignante au front. Celle qui défriche. Celle qui annonce. Celle qui tente de démystifier les besoins et les situations. Je parle parfois de médication. Pas toujours. Je parle parfois de TDAH. Parfois non. J’essaie de m’y retrouver dans tout ça avec, toujours, une seule idée en tête : l’enfant. Cet enfant qui passera plus d’une décennie sur nos bancs d’école, qui devra écouter, travailler, s’adapter aux autres, de quoi a-t-il besoin pour en sortir grandi?
Une chose est sûre, il a toujours besoin de parents qui s’impliquent. Qui révisent son alimentation, questionnent (ou maintiennent) leur encadrement, font preuve d’une grande patience et d’un investissement inconditionnel. Il a toujours besoin d’un milieu sécurisant et de limites bien établies. Parfois cela suffit. Parfois non.
Il a souvent besoin d’ouverture de la part de ses enseignants. D’une plus grande liberté de mouvement, d’un coin plus tranquille pour travailler. Il a besoin qu’on lui répète, qu’on le guide, qu’on lui rappelle, qu’on l’encourage, qu’on croit en lui. Là aussi, la patience est à l’honneur! Parfois cela suffit. Parfois non.
Et lorsque toutes ces belles manoeuvres ne suffisent pas. Ou pire, lorsque personne n’est prêt à les mettre en place, que les parents ne se présentent pas aux rencontres ou refusent d’admettre les difficultés, eh bien non, je ne baisse pas les bras. Je passe au plan C. Je parle de médication…
Ce qui préoccupe les enseignants, ce n’est pas de voir se tortiller votre petit; nos classes sont pleines de petits gnomes gesticulants, c’est ce qu’on appelle avoir 6 ans! Ce qui nous turlupine, c’est lorsqu’il n’arrive plus à apprendre. Lorsque tout lui paraît une montagne, qu’il perd ses amis. Lorsqu’il est si fréquemment repris que son estime de soi dégringole et qu’on le retrouve au tapis, écrasé comme une crêpe. Ça, oui, ça nous dérange. Et ça devrait vous déranger aussi…. Si une médication peut l’aider à se relever, alors peu importe ce que Facebook en dira, je serai cette enseignante qui demande une médication.
Évidemment, je ne suis pas toujours bien reçue! Tout ce qui circule ici et là a souvent bien plus de poids et de crédibilité que les recommandations d’une vulgaire enseignante frisée. Vulgaire enseignante qui voit défiler depuis plus de 10 ans des enfants. Qui tente chaque année toutes sortes d’expériences pour les aider.
– Oui, mais vous n’avez pas étudié le DSM ni la psychologie!
Très vrai… Mais j’ai chaque jour, chaque année, un portrait global du développement de nos enfants en plein visage. Et, surtout, j’ai comme premier souci de voir vos enfants s’épanouir. C’est mon travail. C’est ma profession.
Je ne suis pas à la chasse aux TDAH. Seulement parfois on nous demande de mettre des mots sur les réalités. Et la réalité, c’est que je croise chaque année une petite poignée d’enfants pour qui la gestion du « focus » et du contrôle sont clairement problématiques.
J’inventerais bien d’autres mots pour en parler, je serais sans doute mieux reçue… Mais en attendant, peut-on arrêter de craindre ces quatre lettres comme la peste et s’asseoir pour en discuter? Peut-on laisser de côté les guerres de pilules et s’occuper sans tarder de ce qu’on peut faire pour maintenir la tête de votre enfant hors de l’eau et lui éviter de se noyer dans ce cadre scolaire où il devra nager encore de longues années?
Lorsque parents, professeurs et pilule font équipe, on voit parfois des petites bestioles grouillantes devenir champions de natation! Et c’est un magnifique spectacle!
Et vous, petit farfelu qui m’accusez en onde d’avoir inventé le TDAH et de le voir dans ma soupe, et bien je vous pardonne. Je ne gaspillerai pas mon énergie à vous en vouloir, j’imagine que, comme tant d’autres, vous ne savez juste pas… Mais ici, sur ma petite tribune à moi, je me permets de me porter à la défense de mes semblables qui sont plutôt silencieux, faute de crédibilité sur la place publique.
Retour dans ma voiture. Je ferme la radio (une bonne chose de faite)! Sur la banquette arrière, mes enfants s’agitent, crient et ne tiennent plus en place.
Aurait-on saupoudré un peu de TDAH dans leur soupe?